19 août 2007 - 20h31 - Aéroport J. F. Kennedy - New York, Etats-Unis d'Amérique :Je pose mes bagages au sol, sur le carrelage blanc du grand hall. La foule grouille autour de moi, les enfants crient, les parents grondent, les vieux somnolent, les jeunes téléphonent et les retardataires courent après leur montre... Je lève les yeux et je cherche mes horaires sur le tableau d'affichage...
« Vol 603 - à destination de Tokyo - Départ dans trois minutes »
Je ne suis pas à l'avance ; je reprends mes sacs en main, je presse le pas et je passe au guichet. Des machines sonnent un peu partout, des gens râlent, d'autres soupirent, des bébés pleurent, et nombre de haut-parleurs résonnent dans l'aéroport... Je me sépare de ma valise et je m'avance tranquillement dans le large couloir. Un homme me dépasse, visiblement pressé, et il entre dans l'avion au pas de cours. Je souris, puis je prends le même chemin que lui, faisant à mon tour mon entrée dans l'appareil... Tout à coup, il fait plus chaud, un léger parfum de vanille fruitée flotte dans l'air et des néons blancs brillent au-dessus des gens qui prennent place... Je me faufile parmi le monde dans l'allée étroite, je cherche mon siège, et enfin, je m'assoie...
Je me souviens des adieux faits à mes proches, avant de monter dans le petit taxi jaune qui m'a conduit à l'aéroport... Le chauffeur avait regardé dans son rétroviseur, en s'exclamant, enthousiaste : "Ah, Tokyo, quelle belle ville ! Vous verrez, vous ne regretterez pas d'avoir quitté l'Amérique !" Quelque part, je me permettais d'en douter : un mauvais pressentiment ? Il n'y a même pas une heure, je traversais une dernière fois les rues bondées de passants, les embouteillages typiques newyorkais, et je pouvais encore voir à travers ma fenêtre les immenses buildings que j'aimais tant. Mais, adieu les spectaculaires bureaux d'affaire, les prestigieuses boîtes de nuit, mon habituel Starbuck Coffee, et puis aussi l'incontournable université, le populaire Central Park et mes avenues-shopping chéries... Je change de vie, je quitte le continent, et je n'ai plus qu'un seul rêve en tête : le Japon. Ce voyage me fait peur, mais je sens encore les petites étoiles dorées qui me brillent dans les yeux. Enfin, je ferme mes paupières ; l'hôtesse de l'air rappelle le port de sa ceinture pour le décollage imminent, le commandant de bord nous souhaite un agréable voyage et le micro se coupe. L'agitation autour de moi perdure pourtant, d'autant plus que les moteurs se mettent à tourner, et j'entends alors l'avion rouler doucement sur la piste de décollage... Je m'arrête de respirer quelques secondes, mes oreilles se bouchent, et en ouvrant les yeux, j'aperçois tout à coup, pour la dernière fois, les mille lumières de la ville de New York dans la nuit. Je me détends alors sur mon siège, les gens près de moi discutent, mais, après un léger bâillement, je cède malgré tout à la fatigue, sombrant vers le pays des rêves...
La suite, je ne peux réellement l'expliquer. Une lourde secousse me réveille en sursaut. Immédiatement, je regarde à travers mon hublot : le petit matin est en train de se lever et j'aperçois déjà le soleil à l'horizon. En-dessous des nuages, je ne vois que de l'eau, l'océan à perte de vue... Une nouvelle secousse fait trembler l'appareil et l'avion commence à descendre dangereusement. Une explosion se fait entendre et des cris s'élèvent alors. Une sueur froide me parcourt le dos, je me cramponne à mon siège ; je constate la panique qui prend brutalement possession de nombreux passagers. Moi-même, je m'affole. Mais brusquement, un compartiment s'ouvre, une valise tombe, atterrissant violemment sur ma tête... et là, trou noir... Quand j'ai réouvert mes paupières, je me suis cru mort. Face à un immense ciel bleu, je reprends connaissance sur du sable fin. J'ai froid et chaud en même temps, puis j'ai mal partout. Mais qui pourrait comprendre ce que moi-même je n'ai pas compris ? seuls mes yeux m'ont permis de voir : cette grande plage, tous ces blessés et ces morts, là autour de moi, les débris en feu, et enfin, cette île...
19 août 2009 - 9h16 - 2 ans après le crash - sur l'île, au milieu de l'océan Pacifique :La vie n'est pas facile, il a fallu emménager les grottes, construire des cabanes pour dormir, chercher de l'eau, cueillir la nourriture, pêcher et chasser ; survivre... J'ai toujours du mal à me persuader, à me convaincre que je suis encore là, dans cette nature sauvage, sur ce sable qui borde la côte. Je regarde sans cesse l'horizon, cette ligne doré entre l'eau et le ciel immenses, qui laisse dans mes rêves apparaître au loin un petit bout de mon Amérique. Et les terres de l'Ouest, jamais je ne verrais donc le crépuscule japonnais ? Non, chez moi, il n'y a que ce soleil chaud, qui passe d'un bord à l'autre de l'île, chaque jour, encore et encore. J'ai cette paroi sur laquelle je fais des croix à chaque aurore ; plus de huit-cent entailles dans la pierre, qui creusent chaque fois un peu plus le fossé entre nous et le reste du monde. Je ne me sens tellement pas en sécurité, jamais.
Les personnes sourient autour de moi, les orphelins ont de nouvelles familles, les cœurs déchirés se réparent, mais rien ne m'enlèvera jamais ces souvenirs qui m'habitent, ce passé ailleurs qui n'appartient qu'à moi. Sur cette terre isolée, rien n'est prévisible, je suis impuissant. J'ai vu passé cet ouragan, puis cet incendie, qui ont ravagé un peu plus notre espoir. Je faisais parti d'un groupe qui était atterri de l'autre côté de l'île lorsque l'avion s'est crashé. Mais j'ai fini par trouvé le camps des autres passagers de l'avion, et en fait nous sommes si nombreux ; tant à être là et à vivre comme si un avenir été possible. Chaque nuit, mon cœur fait des bonds dans ma poitrine, des cauchemars me hantent, et ce depuis que je suis sur cette étrange île. Oui, j'espère encore la quitter un jour. Un hélicoptère s'est écrasé il y a quelques temps, et moi je pensais réellement qu'on venait pour nous sauver. Au lieu de ça, des fous veulent finalement s'amuser de notre peur et de notre mal à présent. N'ai-je pas déjà tout donné ? c'en est trop... et ces secours, quand viendront-ils vraiment ? Je suis de ces nombreux rescapés qui sont si souvent là, regardant par habitude l'horizon, dans l'espoir d'apercevoir un jour un bateau se dessiner au loin ou un avion scier le ciel, après autant de temps... Parce que franchement vous, à ma place, que feriez-vous ?
« Je survis, et je te le promets : je ne pousserais mon dernier souffle tant que je serais ici ; je vivrais encore, je vivrais jusqu'à ce qu'enfin New York soit à nouveau devant mes yeux... »