« Pardon ! Pardon ! Excusez-moi… Mais voulez-vous bien.. ! Merci. Excusez-moi… Laissez passer ! »

Des voix s’élevaient, se superposaient, s’entremêlaient. Assortiment hétéroclite, elles se succédaient sans distinction, graves, fluettes, parfois savant mélanges d’autres tonalités, provoquant un tumulte sans bornes. Par ici dépassait le bout pointu d’une coiffe excentrique et colorée ; par là, la forme arrondie d’un chapeau melon. A l’autre bout, le visage méprisant d’un aristocrate exagérément classieux ; puis derrière lui, créant un contraste saisissant, une ménagère rondouillette saluant avec une émotion à peine maîtrisée ses bambins surexcités.
Et cette scène, vue de l’intérieure, était encore plus étrange et déstabilisante. C’était se faire bousculer par ces corps pressés, inconnus ; se laisser porter malgré soit par l’agitation générale. C’était céder à la panique l’espace d’un instant à l’idée d’une valise perdue, pour se laisser submerger par un soulagement sans nom en la retrouvant sagement rapetissée à l’intérieur d’une poche ample. C’était l’annonce enfiévrée d’un départ imminent, entre au revoir larmoyants et trépignements d’impatience.
Et d’un coup, alors qu’un nuage de vapeur enveloppait le quai noyé de monde, un sifflement strident retentit, couvrant sans peine le brouhaha ambiant. Le Poudlard-Express venait d’entrer en gare.

Ce jour-là, Pansy avait serré convulsivement le manche de sa valise au creux de sa paume, osant à peine lever les yeux sur les visages fiers de ses parents. Elle avait redouté ce moment autant qu'elle l'avait attendu... l'heure des adieux. Bien sûr, il n’y avait eu ni larmes ni effusions d'affection inutile. Son père l’avait couvé d’un regard protecteur et attentif, ce qui semblait presque être une mise en garde, en soi. Et sa mère avait brièvement posé ses lèvres délicates au sommet de son front avant que tous deux lui répètent leurs dernières recommandations. Rester digne... digne. Comment demander à une gamine de onze ans de rester digne, alors qu'elle quittait le foyer familial pour la toute première fois ? Mais derrière l’appréhension il y avait une impatience tapie, une curiosité toute pleine, entière, et la soif de découvertes. C’en était fini des robes froufroutantes rose bonbon et des rubans de gamines – désormais, elle entrait dans le monde des « grands ». Elle devenait une étudiante à part entière de Poudlard.

Ce souvenir là, Pansy l’avait précieusement gardé en mémoire, bien que de nombreuses années soient passées depuis. Ces premiers pas l’avaient conduite à une existence douce-amère, faite de joies et de peines entremêlées, mais qu’elle s’était efforcée de vivre à fond. Toujours. L’image qu’elle avait donné d’elle à Poudlard n’avait rien de particulièrement reluisant, mais était souligné d’une pointe de crainte, d’un mépris où perçait malgré tout un certain respect. Et qu’importait l’affection lorsqu’on avait le respect? Elle ne regrettait en rien ses médisances à l’égard des Poufsouffles « trop bons trop cons », ses railleries à l’encontre de la témérité et du dévouement extrême typiquement Gryffondorien, son mépris de l’attitude studieuse et rigide des aigles prétentieux. Elle avait tous les droits de se montrer orgueilleuse et fière; parce que son sang était pur, qu’elle était une sorcière authentique, et qu’elle était une Parkinson. Les autres n’avaient pas ces privilèges, et encore moins de raisons valables de se glorifier, à ses yeux.

Mais le temps… change le plus borné des hommes. Face au parchemin qui n’attendait qu’un sursaut de sa plume, elle ne pouvait ni se mentir ni cacher ses pensées profondes. Depuis la mort de son père, durant la bataille finale, elle avait pris soin de ne se mettre sous la coupe de personne d’autre qu’elle-même. Elle avait fait le choix de ne pas suivre ceux qui continuaient hargneusement de défendre la cause pro-sang-pur, préférant rester sagement neutre dans le conflit qui s’annonçait. Mais être en paix avec soi-même était une chose. Accepter de ne pas l’être avec ses proches, ou le souvenir d’eux, en était une autre. Lorsqu’elle se regardait dans le miroir, ses traits se superposaient à ceux de son géniteur, son regard se faisait scrutateur et furieux. Elle était née pour autre chose que pour rédiger des articles dans un magasine pour sorcière! Ne l’avait-il pas promise à une grande carrière? Ne lui avait-il pas confié les reines qu’il avait auparavant tenues d’une main de fer? Elle avait abandonné ses rêves pour devenir adulte, l’ambition de petite fille qui l’avait un jour poussée à prétendre qu’elle deviendrait l’une des têtes pensantes du Ministère. Ç’aurait été parfait… parfait pour servir les intérêts du Seigneur des Ténèbres, ou pour défendre la cause que la mort du Maître n’avait pas su éteindre chez tous ses serviteurs. Mais elle n’avait pas voulu de ça et, consciente du désaccord implicite de ce père mort et enterré, elle ne pouvait que refouler la pointe de remords qui lui rongeait l’âme.

Un calme feint se peignit sur ses traits alors que la porte du bar où elle se trouvait s’ouvrait, faisant tinter les grelots qui la surmontaient. Une ancienne connaissance, un partisan défunt Lord, avec qui elle avait gardé contact… moins pour leurs idées qu’ils avaient un jour eu en commun que parce qu’il l’avait plus ou moins soutenue après la guerre. Sans surprise et sans hésitation, il s’était joint au groupe de Mangemorts qui se relevait peu à peu de ses cendres, et ne comprenait pas le refus de la jeune femme de suivre la même voie.

« Encore un article? », remarqua-t-il à peine rentré, un soupçon de moquerie dans la voix.

Et elle de feindre n’avoir rien remarqué, et de tendre les lèvres en un sourire sur joué.

« Tu as l’oeil », plaisanta-t-elle en réunissant ses affaires pour débarrasser la table qu’ils avaient prise d’assaut.

La suite ne fut qu’échange de banalités, tournant autour de nouvelles qui les intéressaient aussi peu l’un que l’autre. Mais il fallait bien cela pour étouffer la curiosité de la petite serveuse qui s’attardait auprès d’eux, trainant volontairement pour capter une bribe de conversation à colporter. Les excuses finissant par manquer, la serveuse dû bien retourner à son bar… et les hostilités commencèrent.

« Et ce qui concerne notre « affaire »? Tu as réfléchis? Dis-moi que tu es revenue à la raison. »
« Moi aussi je suis ravie de te revoir dans un contexte purement amical et désintéressé. Ça faisait longtemps, tu ne trouves pas? Zut, mon café est brûlant. »

Il balaya sa réplique d’un geste négligeant de la main et se pencha en avant.

« Est-ce que tu ne te rends pas compte? En refusant ainsi tu te fais des ennemis parmi ceux dont tu devrais être proche. Ceux qui partagent tes propres idées! Qu’est-ce qui te prends? »
« On en a déjà discuté, et tu sais pourquoi je refuse de m’impliquer. J’ai déjà beaucoup perdu à cause de cette fichue guerre. »
« Savoir est une chose. Comprendre en est une autre. Tu fais une erreur Pansy… j’espère que tu t’en rendras rapidement compte. »

Sa voix avait pris une inflexion plus dure qui, l’espace de quelques secondes, la fit se sentir de nouveau enfant, face au timbre grondeur de son père. Elle baissa la tête sur le fond de chocolat qui refroidissait dans sa coupe. Toujours ces mêmes doutes… Était-il naïf de sa part de vouloir croire qu’elle parviendrait à rester neutre bien longtemps? Qu’importait l’avis des autres, de toute façon. Elle se dispenserait de choix aussi longtemps qu’elle le pourrait.